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jeudi 15 avril 2010

Le mariage forcé de Lang

Nous sommes débarqués à Sapa, dans le nord du Vietnam, après une nuit de train – superbe expérience, avec notre compartiment à nous, quatre couchettes; les filles ont adoré. Sapa est une jolie petite ville construite à flanc de montagne. C'est la contrée de différentes minorités ethniques du Vietnam, notamment les H'mongs, qui se baladent partout en costume traditionnel, ce qui ajoute pas mal de couleur à l'endroit. (Étonnant: il y a 52 groupes ethniques différents au Vietnam, pas toujours bien traités par le gouvernement central, et qui se sentent très peu Vietnamiens, selon ce qu'on a pu constater).

Nous devions partir en randonnée, notre activité favorite, le lendemain de notre arrivée. Mais la veille, hélas, Émilie s'est mise à vomir, causant quelques dégâts dans la chambre. D'une certaine façon, j'étais soulagée: si c'était arrivé la veille, nous aurions été dans le train, et si c'était arrivé le lendemain, nous aurions été dans une maison d'un petit village de montagne... Émilie a donc bien choisi son moment. Mais je me suis demandée si elle ne nous envoyait pas un message inconsciemment: au Népal, elle a été malade un soir pendant notre randonnée de cinq jours, et en Birmanie, elle a fait de la fièvre la deuxième journée de notre randonnée de deux jours. Elle n'a été malade a aucun autre moment pendant le voyage... Enfin, à chaque fois, c'était bénin. Et cette fois-là aussi, on n'a eu qu'à reporter notre randonnée d'une journée et elle était remise d'aplomb.

Donc, le matin de notre départ, nous avons eu le plaisir de faire la connaissance de notre guide pour les deux prochaines journée, Lang, une jeune fille H'mong de 20 ans, vêtue de ses habits traditionnels: veste et pantalon court noirs, décorés de broderies, sac brodé multicolore et, le plus étonnant, rubans de velours noir enroulés autour des mollets, laissant les genoux à découvert. Nous avons adoré Lang, qui parlait bien anglais, était délurée, faisait des blagues avec les filles et connaissait son métier. Elle nous a guidés sur des sentiers superbes, sillonnant les rizières (malheureusement à sec, la récolte venait de finir).

Quand les rêves volent en éclats

Les filles ont vu qu'elle portait une belle bague – elles remarquent toujours les bijoux. Lang nous a alors expliqué que c'était un cadeau de son fiancé. Nous nous sommes empressés de la féliciter pour son mariage prochain. Nous n'aurions pas dû. L'histoire qu'elle nous a raconté au cours des deux jours suivants n'a rien d'une histoire d'amour.

Lang est une jeune femme brillante, mais elle n'est allée à l'école que jusqu'à 13 ans, comme la majorité des enfants de son village. Elle a appris l'anglais en vendant de l'artisanat aux touristes, à Sapa, comme des centaines de ses compatriotes. Elle a vraiment un don pour les langues: elle apprenait des mots et expressions en français juste en nous écoutant parler.

Guide de montagne, c'est un bon métier, mais Lang ne gagne que 5$ par jour, quand elle est payée (à notre grand déplaisir, elle nous a appris que l'agence par laquelle nous avions transigé la paie en retard, et oublie parfois de le faire). La jeune H'mong nourrit donc le projet d'aller étudier à Hanoi pour finir son secondaire et suivre une formation de guide touristique. Par son travail de guide de montagne, elle a rencontré des étrangers qui l'ont prise sous son aile et ont proposé de financer ses études dans la capitale – je sais que c'est vrai, j'ai vu leurs courriels, lorsque Lang m'a demandé de l'aide pour lire un message sur notre laptop, qu'on lui a prêté.

Lang était donc pleine d'espoir pour l'avenir. Mais quelques semaines avant notre rencontre, ses rêves se sont écroulés abruptement: elle a été kidnappée, littéralement, par un jeune homme décidé à se marier avec elle. Avec quatre autres personnes, il l'a emmenée de force chez lui et l'a gardée pendant plusieurs jours pour qu'elle consente à se marier. Lang – qui connaissait le jeune homme, un simple ami, dit-elle – ne voulait évidemment pas. Mais en son absence, les deux familles se sont parlées, la famille du jeune homme a donné à la famille de Lang 4 millions de dongs (environ 250$) et 10 kilos de poulet, et l'avenir de la jeune femme était scellé...

Lang a tenté de convaincre ses parents qu'elle ne voulait pas se marier, mais ils ne l'ont pas écoutée. Le jeune homme est, semble-t-il, un bon parti; sa famille est relativement à l'aise. Mais ça signifie que Lang doit aller vivre dans sa belle-famille (elle y était déjà installée, d'ailleurs). Elle deviendra à toutes fins pratiques l'esclave de ses beaux-parents: elle devra aller ramasser le bois pour la cuisson, faire à manger pour toute la famille, faire le ménage, la lessive... Et faire des enfants très rapidement, évidemment. Pour Lang, c'est la catastrophe, la fin de ses projets pour un avenir meilleur.

Prise au piège

Pendant la randonnée, elle a discuté avec nous des moyens de se sortir de cette situation. Elle devrait trouver l'argent pour repayer la famille de son «fiancé» et obtenir que les deux familles prennent l'alcool de riz ensemble pour briser l'engagement. Si elle part tout de même pour Hanoi, elle sera reniée par sa famille et par tout son village, et ne pourra probablement plus revenir... Pas facile à prendre comme décision, dans un coin du monde où la famille est tout ce qui compte.

D'ailleurs, le petit fiancé gardait Lang à l'oeil. Le soir où nous nous sommes arrêtés pour dormir dans une maison d'un village H'mong, il est venu surveiller sa promise, et l'a même amenée chez lui pour passer la nuit. Sympathique...

Nous avons encouragé Lang à ne pas renoncer à ses ambitions, à décider elle-même de sa vie. Mais elle se sentait coincée. Tout son entourage la veut dans ce mariage qu'elle ne veut pas.

Lang est devenue mon amie Facebook. Je lui ai envoyé un message pour tenter de savoir où elle en était, mais n'ai pas eu de réponse...

Je ne peux m'empêcher de penser à elle, et à toutes les femmes d'Asie qui ne vivent pas LEUR vie, mais une vie décidée par les autres, par leurs parents, notamment. Les femmes, ici, sont une commodité que l'on achète, que l'on échange. On n'a pas idée à quel point on a de la chance d'être nées là où l'on est nées...

(Pour protéger son anonymat, je ne publie pas de gros plans de Lang)



Lang, guide hors-pair, transporte Émilie sur son dos, sur un sentier surplombant des rizières


Pendant tout notre premier avant-midi de randonnée, nous avions trois accompagnatrices H'mongs en plus de notre guide. Elles nous ont diverti et ont même porté les filles lors des passages difficiles. Leur but: nous vendre de l'artisanat lors de la pause du midi. Malheureusement, elles vendaient leur marchandise trois fois plus cher qu'en ville, et nous ne voulions pas encourager cette pratique...


L'une des vendeuses a confectionné des couronnes avec des fougères pour les filles. 


Jeune femme H'mong devant les rizières


Passage difficile pendant la randonnée


Les costumes traditionnels des femmes H'mongs sont superbement brodés


Marianne a essayé un costume H'mong - un peu trop longues, les manches...

La cabine du train de nuit pour Sapa






2 commentaires:

  1. bonjour voyageurs
    touchant l'histoire de Lang...peut-être un peu trop. Au cours de nos voyages nous avons entendu quelques histoires semblables: un vieux prof "victime " de répression au Laos, un guide dont la famille a été décimée au Cambodge. Comment nous assurer qu'elles sont vérédiques?

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  2. Comme journalistes, nous avons l'habitude de remettre en question les affirmations des gens. Dans notre métier, on doit tout contre-vérifier. Mais j'ai eu assez de preuves pour croire l'histoire de Lang. J'ai lu plusieurs courriels de ses amis étrangers qui tentaient de l'aider; j'ai vu son «fiancé» et son attitude envers elle; même sa cousine, avec qui j'ai fait une petite excursion, a corroboré l'histoire (et m'a dit que ses parents à elle n'auraient jamais accepté un tel mariage).
    Je ne vois pas pourquoi Lang aurait inventé une telle histoire, elle ne nous a pas demandé d'argent, ni d'aide d'ailleurs.

    Nous sommes actuellement au Cambodge. Pendant le règne des Khmers rouges, il y a eu entre 2 et 4 millions de morts, 25% de la population. Il est fort possible que les gens de plus de 40 ans aient vu mourir certains de leurs proches. Notre chauffeur, lors de la visite des temples d'Angkor, nous a aussi raconté que ses parents avaient été tués par les Khmers rouges et que lui avait fui avec la famille de son oncle en Thaïlande. Je n'ai aucune raison de douter de son histoire.

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